SÉRIE NOIRE POUR FLAMAND ROSE

 Page d'accueil...

 

Ombres et lumières - Lumières et ombres

C'est l'heure où la ville s'éteint dans la nuit, ne laissant derrière elle qu'un immense squelette paré d'un sublime réseau de guirlandes: des colliers de lueurs blanches et orangées se déroulent le long des avenues, sagement alignés comme de bons élèves à la rentrée des classes; le diamant de la tour Eiffel resplendit dans les airs, les lampadaires de la place de la Concorde chatoient les solennelles nudités de bronze des statues classiques... Ca, c'est le Paris des beaux quartiers, celui des couturiers et des dames chics, des messieurs très bien qui connaissent à fond l'art subtil de piquer un petit roupillon sous les ors de la république....Et puis, il y a les voyous et les putes, les arnaqueurs qui vendent du rêve à l'en veux tu en voila, à grands coups d'ampoules rouges, vertes, jaunes, rouges, de néons criards, de loupiotes maladives qui percent la nuit comme la dernière étincelle de vie d'un corps qui agonise ...

C'est l'heure où dansent les vierges folles, les prostituées à tous les prix, celles qui tournoient dans la fête, dénudant cuisses et seins pour attirer le regard des hommes, sous les yeux hypocritement envieux des vierges sages ... Paris perd un peu de son odeur de gazole, celle du travail, pour s'imprégner de celle du plaisir: ca sent la cocotte, des phéromones de mâles en rut affolent les pétasses en chaleur, et sous leurs crinières blondes délavées se nouent d'inextricables nœuds de chair, où les langues, les doigts, les mains, les sexes pénètrent les trous les plus intimes...

C'est l'heure où les chats sortent de la touffeur de greniers; ils s'étirent lentement dans leurs nids de chiffons déchirés, ouvrent tout grands les joyaux baroques de leurs yeux, font l'essai de leurs griffes, et partent chasser le longs des corridors ...A moins qu'ils n'emmènent les âmes des trépassés vers quelque mystérieux Charon: qui peut dire le but des promenades graves et nocturnes des chats?

Dans la rue - Papiers et halos blanchâtres ou orangés des réverbères...

Il coure ... " Vas y, vas y, bute le ! Il a tout vu!"

Des coups de feu - Un corps qui roule sur le bitume

L'inspecteur Parcimoni s'approche - Un filet de sang coule lentement vers le caniveau... " Putain, il est crevé ce con! " " En général c'est ce qui arrive quand on tire sur un mec, même avec un bougnoule! Allez hop, à la Seine! T'en fais pas, Sanglier, je te couvre! "

" Attends, il vit encore " et du pauvre corps au visage basané crispé par la douleur, sortent ces quelques mots ultimes ...

Flamand rose

Puis doucement, et de plus en plus vite, s'enroule une spirale de pourpre et d'obscurité ....

------§§§§§§§§§-----

Le soleil d'hiver se lève sur la ville, se glisse à travers les brumes et vernit doucement les façades. Quelque part dans un appartement du onzième un radioréveil se déclenche. Une forme bouge sous les draps, un mouvement dans un accord blême et indéfini souligné par le point rouge de la radio.

Le Sanglier ouvrit les yeux. Le visage du Gros Porc se découpant dans la pénombre au dessus de l'inscription " La France: aimez la ou quittez la " lui rappela subitement les événements de la nuit, figeant son visage en une grimace désagréable. Un goût acide envahit sa bouche. Pourvu que Verrat Puant ne déconne pas! En tout cas, maintenant, cet enfoiré le tenait! Heureusement qu'il pouvait compter sur lui! Depuis le temps qu'ils militaient ensemble à la Porcherie!

Un café tabac dans l'Est Parisien... Le Sanglier avait échoué la par hasard après avoir marché dans les rues tout l'après-midi. Par hasard, pas tellement, à vrai dire : il voulait méditer sur les affaires en cours, et également échapper - à l'aide de plusieurs et nombreux petits verres -aux questions et aux angoisses qui tournaient en boucle dans son cerveau ... Il se réchauffait le corps et l'âme devant un demi, et la nuit tombait. Au plafond et dans les coins les néons roses et verts se faisaient plus agressifs, se reflétant dans les sous-verre où des photographies jaunies montraient de plats paysages de Camargue...Mais lui se foutait du décor: son ambition pour l'instant était d'enfermer la vie entre les rebords étroits du verre qu'il serrait dans ses mains...

Un verre de bière vu de prés est une galaxie où tournoient les nébuleuses des bulles, où les néons dérivent comme autant de nuages de gaz rares, une galaxie vue à travers un filtre jaune et pétillant. Et voici que du fond de la galaxie s'avance une planète géante au nom d'un dieu tellurique et farouche... Je redescends mon verre lentement vers la table ; la planète est un grand Renard brun très basané, barbu, les cheveux en broussaille qui descendent très bas sur le front, cette touffeur hirsute étant découpée par les lames de deux yeux d'un bleu ardent, feu de glace qui dévore l'espace et l'assimile à son âme. Les deux yeux passent et se lancent dans l'obscurité de la rue. Ces yeux sont une prière, un appel, ou plutôt il me semble que c'est le destin qui m'appelle à travers eux . Il me faut suivre ce Renard: je suis sous l'emprise d'un charme maudit qui me transperce l'âme comme un acier brûlant, un arc électrique qui scintille dans mes viscères, différent mais aussi fort que le désir; je me lève, laisse un peu de monnaie pour payer ma bière et me lance à la suite des deux comètes glacées.

Le Renard marche vite, fendant l'obscurité comme un oiseau fend l'air, aspirant l'obscurité et en absorbant l'énergie , chasseur d'âmes solitaires en pleine traque; ses yeux sont ceux d'un prédateur, perçants, fureteurs, inquisiteurs; ses pas résonnent dans les ombres et les lumières, ses pas claquent comme les tambours du destin, ses pas impérieux et lourds, définitifs et tranchants.

 

La rue est orange sous les lampes au sodium. Les ombres filtrent le long des crêtes des murs, se découpant en de longs impacts sur les espaces orangés: les grilles sont mêlées aux branches des arbres, qui émergent des cheminées. Dans un coin un matou se glisse, silencieux: l'espace d'un instant ses yeux découpent deux étranges petites étoiles dans l'obscurité d'un recoin où luisent des tessons de bouteille, étoiles doubles dans une constellation tissée d'une large gaze verte. Mon regard peut aussi entrer dans de mystérieux jardins au fond desquels de vivantes végétations lentes échangent d'énigmatiques conversations en forme de lianes ou de brindilles, de longs chuchotis discrets émis lorsque souffle une légère brise, lorsque la nuit est noire et que l'air a cette fraîcheur douce des débuts de printemps...

La course du Renard le mène vers les boulevards où filent les bagnoles, astéroïdes incandescents de lumière et de bruit ... Et soudain au détour d'un immeuble m'apparaît le signe : un gigantesque flamand rose de néon qui flamboie au dessus d'un bistrot à l'allure minable, aux vitres embuées et d'où sortent les flonflons de la musette : la porte s'ouvre d'un seul coup, livrant passage à un corps qui vient s'écraser sur le bitume; la forme d'un clochard approximatif se relève lentement, fait quelques pas, titube, s'appuie au mur et gerbe avec emphase en un long et large jet dont la couleur évoque sans équivoque le flamand rouge et rosé qui clignote au-dessus de lui, et dont le bec largement fendu et l'étrange œil d'oiseau ont l'air de se moquer cruellement de l'épave humaine qui se répand largement en vomissures.

Le Renard pendant ce temps s'est arrêté un bref instant devant le boui-boui ; il a levé la tête vers l'enseigne, puis a continué son chemin sur le boulevard, en direction du stade dont on aperçoit maintenant les projecteurs, comme d'étranges fleurs géométriques et lumineuses dressées dans la nuit.

 

Je n'ai jamais aimé les stades et les sports médiatisés et élitistes qu'ils abritent en leurs flancs, mais ce sont incontestablement de beaux décors: lorsqu'on se rapproche de celui des boulevards, on tombe d'abord sur une rangée d'arbres tordus et ouverts comme des éventails, se découpant dans la lumière blanche comme une gigantesque flore marine, aussi muette et aussi floue, aussi étrange et mystérieuse: on guette inconsciemment l'apparition de quelque créature démesurément engueulée et à l'œil aussi énorme qu'atone, de bancs de poissons frétillants, inconscients et superficiels comme une bande de collégiennes, à moins que ce ne soit la masse sombre et fuselée de quelque tueur des profondeurs, aux rangées de dents impitoyablement alignées et pointues... On sort ensuite de la forêt sous-marine pour la clairière elfique, au gazon incroyablement vert saupoudré de poudre de fée, et où des créatures courts vêtues se livrent à d'étranges ballets, tandis que de vieux trolls bourrus aux larges panses d'alcooliques moyens et qui n'ont de sportif que leurs vêtements, hurlent incantations, encouragements, imprécations et engueulades, bien assis sur le bord des terrains, enfoncés dans de larges fauteuils de toile....

Il a continué sa marche, franchissant le périphérique où rugissent les lions, parcourant des rues de banlieues mornes aux pavillons endormis, pénétrant même dans le bois de Vincennes où d'étranges créatures bariolées échassient le longs des allées, se promenant lentement et comparant envieusement leurs plumages multicolores, dans un cancanage où domine nettement le vinaigre de la haine et de l'envie ... Puis il est sorti du bois, et le Sanglier a continué à le suivre dans cette navigation nocturne ....

 

Les voies de la gare de Lyon.... L'étroite passerelle se déploie au dessus d'un immense saurien dont les longues écailles bruissent d'une vie métallique. L'animal semble dormir d'un sommeil inquiet, et ses rêves de boue et de carnages donnent des frissonnements convulsifs à sa carapace longiligne. Des ronflements subtils et irisés tournoient dans l'air, respiration irrégulière du Léviathan. A l'ouest le périph' déroule une guirlande changeante et animée.

Soudain, la bas, au bout de la passerelle, apparaît une étrange silhouette: grande et noire, surmontée d'une tache blanche.... Mon guide a disparu et je me retrouve tout seul à marcher à la rencontre de cet homme noir surmonté d'une immense tête blanche qui brille dans la brume orangée montant des voies. Mes pas résonnent sur la passerelle, de plus en plus lents... L'homme est de plus en plus prés, encadré par les fumées de l'usine d'incinération qui déroulent leur double panache, loin derrière, au delà de la Seine; je le vois de mieux en mieux, mais je ne comprend pas ce que je vois: cette tête est trop grosse, trop blanche par rapport à son corps, même si le monsieur est carré..... Je parcoure encore quelques mètres, entouré d'un silence soudain, insoutenable et profond... Et c'est alors que je vois qui est devant moi: du costume sombre sortent deux mains aux longues griffes aiguisées comme des poignards, et au dessus de la veste noire ... une immense tête de cheval toute blanche dont les yeux rouges percent la nuit de deux rayons pourpres d'une méchanceté intense: cette créature, je l'ai déjà rencontrée, dans d'autres vies, dans d'autres rêves: son nom est " Le Gynophage " ... Images de meurtre, de chaos, de cruauté absolue ....Image d'une Grande Ville grise fantasmatique où il errait la nuit entre les blocs, satisfaisant ses appétits sanguinaires à grands coups de griffes et de canines, sur les fœtus encore frémissants extirpés brutalement du sein de leur mère égorgée .... Et soudain, il passe un petit portillon métallique et descend vers le monstre qui rêve en bas...

... Il n'y a maintenant plus rien sur la longue passerelle: rien que mon étrange guide qui chemine vers les panaches jumeaux de l'usine d'incinération, rien que les grondement saturés d'électricité du monstre qui repose en bas, rien que les vrombissements lointains de la guirlande de bagnoles qui coule vers l'horizon...La passerelle se finit maintenant par un escalier qui descends vers la rue, sur le trottoir se tordent d'inquiétants ruisselets couleur de sang séché; l'air est parfumé d'une fine odeur de réglisse.

La Seine, immense allée rutilante des feux de Paris, qui roule des flots de poix noire, chemin vers l'infini bleu de l'océan.... La bas, au delà des buildings, des péniches, des immensités grises des banlieues, s'ouvrent les portes d'un univers maritime aux dimensions et couleurs multiples, peuplé de créatures insensées et splendides: sirènes, méduses, angelots éoliens aux joues gonflées, dragons îliens gardiens de fabuleux trésors .... Toute cette faune évolue autour d'immenses continents sauvages, où errent des cyclopes cannibales, des unijambistes omniscients et d'authentiques fées d'avant la fin des rêves. La sirène d'une voiture de flics me descend vers la dure réalité: mon guide ne m'a pas attendu qui me ramène maintenant vers Paris et d'autres mystères....Il me faut courir un petit peu pour arriver à la distance qui s'est instituée entre nous deux comme modus vivendi.

 

L'échangeur de Bercy; dans un délire de bruits de moteurs des rampes de béton montent, descendent et s'entrecroisent. En bas les voitures garées le long du trottoir sont comme les carcasses de cétacés sur une plage froide du Pacifique sud; à travers les croisillons des clôtures, on aperçoit d'étranges boursouflures métalliques, esquisses, embryons ou squelettes, rebuts avortés de la ville, épaves d'appareils électriques, reliquats d'enseignes au néon, fantômes d'acier, de verre et de fonte. Quelques plaques luisent ca et la, fragments indéchiffrables du poème urbain: noms de rues, panneaux de signalisation, pancartes diverses, qui rouillent doucement sous la pluie. Je remonte vers les boulevards des Maréchaux: mon guide prend à gauche, vers la Seine; des fragments de murs cyclopéens, vestiges de l'ancienne enceinte de Paris, se découpent dans l'ombre. Il continue son chemin sous le Pont National; le rugissement du trafic devient omniprésent, envahissant....

Il s'engouffre dans la bouche de Métro; bienvenue dans un univers entièrement minéral, baignant dans la lumière des néons!! Rien n'accroche les yeux, et les rêves ne peuvent se fixer nulle part: verre, métal, béton et bois sont lisses, immaculés, sans taches ni écorchures... Même le bruit ici est aseptisé: la rame rentre dans la station avec un doux chuintement sensuel; je monte; la rame repart - suspension du temps, comme si on avait tout arrêté: rien ne bouge, rien ne change, c'est l'immobilité totale.....

Arrêt station des Halles: mon guide sort de la rame et s'engage dans les couloirs des correspondances: là, je suis plus à mon aise: le lieu a eu le temps de prendre de la patine: les belles surfaces de béton brut gardent des traces d'humidité, les mosaïques décoratives perdent leurs carreaux, patchées d'affichettes sexe, politique ou rock'n'roll; les grandes affiches sont déchirées, griffonnées, ou boursouflées d'écoulements sournois et visqueux qui rampent le long des parois. On croise des regards étranges qui percent les dizaines de mètres de terre pour aller contempler une réalité située au delà de nos sens restreints, des visages ravagés par les drogues ou la faim, ou bien par l'angoisse du lendemain; dans l'air même flotte une odeur grise et atonale. Le métro arrive enfin dans un concert de grincements et de sifflements....

Rouge - la nuit est rouge velours, nuancée de toutes les couleurs des néons, noire aussi comme les dentelles, la résille ou la voile fine des collants. Ici règne la prostituée dans son grand uniforme, hauts talons qui transpercent le bitume, jambes gainées de noir, chair traversée et mise en valeur par les lanières et les cordons, seins offerts comme de la viande grasse à l'étal et masque tragique composé entre le rouge des lèvres et le noir des yeux.... Rouge, noir, rouge, noir, sang et deuil, blessures et nuits, ce quartier porte le deuil de l'innocence, constitue le suprême commerce: après avoir vendu les consciences, les idées, les rêves, on vend les corps, sans états d'âme, parce qu'il faut bien vivre, échapper aux morsures du froid et de la faim, à la chape de plomb de l'habitude .... Les hommes errent désemparés dans ce vaste supermarché, agglomérat de solitudes et de détresses. On échange des biftons contre des caresses, chacun des deux partenaire attend.... autre chose...ce que l'autre ne peut lui donner, car la tendresse ici est un abîme où il ne faut surtout pas tomber .... Alors chacun rêve ...inspiré par les écrans vidéo où les corps vont et viennent dans une mécanique silencieuse et répétitive jusqu'à l'écœurement.

Mon guide ...est toujours devant moi. Il s'enfonce dans l'une des petites rues qui partent du Boulevard. On passe ainsi de la nébuleuse d'ampoules, de néons, de guirlandes à une obscurité presque visqueuse, où les feuillages et les pierres reprennent vie, les branches et les arêtes des blocs étant seulement soulignés par quelques rayons filtrant au travers de persiennes disjointes. De temps à autre l'ombre discrète d'un matou se glisse entre les draps d'obscurité, et on a même parfois droit à un regard plein de défiance qui brille dans deux prunelles pleines de feu.

Et petit à petit, au cœur des ténèbres, une petite musique, vive, légère et sautillante se fait entendre. Je ne vois plus mon guide, mais je sais qu'il a été remplacé par cette mélodie que susurre un violon espiègle, cette ariette légère qui saute et rebondit de façade en façade. J'aperçois alors, au détour d'une rue, un petit pavillon rococo aux moulures sensuelles, d'où s'échappe cette musique: je monte les degrés du perron, où se tient un majordome en grande tenue. Je décline mon nom. " Monsieur le Sanglier?  Vous étiez attendu! Entrez, je vous prie! ". C'est ainsi que je pénètre dans un immense salon luxueusement décoré, où les cristaux d'un lustre imposant éclairent doucement les tentures, les boiseries et les stucs. Il y a dans ce salon une cinquantaine de personnes en tenue de soirée: les femmes sont resplendissantes, et leur robes sont généreusement fendues, échancrées, décolletées.... Déjà des couples se sont affalés sur de profonds sofas et flirtent d'une manière poussée: on voit glisser doucement des mains sur des cuisses gainées de nylon noir, des seins appétissant aux tétons érigés sortent des soutiens-gorge, de fines mains recouvertes de bagues, aux ongles manucurés, vont et viennent sur les protubérances des pantalons...

La musique est maintenant plus sensuelle et rythmée, et une grande chienne brune élancée à l'opulente poitrine entame un strip-tease sur un petit podium: vêtue d'une longue robe fourreau d'un noir brillant, elle se déhanche en rythme telle une algue sous la houle; elle fait glisser une bretelle et dévoile au sein volumineux mais ferme dont le téton d'un beau brun très sombre pointe hardiment vers le ciel; elle fait glisser une autre bretelle et sa robe tombe sur le sol: elle est sous-vêtue d'un corset porte jarretelle en dentelle noire qui offre sa superbe poitrine, de bas fins d'un gris fumé et d'un string qui moule étroitement sa vulve, comme si il était une seconde toison de soie; puis le string rejoint la robe tandis qu'un beau bulldog anglais, vêtu en tout et pour tout d'un jockstrap, la rejoint sur le podium; elle se frotte à lui lentement et sensuellement, et ses mains parcourent son corps velu et musclé; déjà le jockstrap semble avoir diminué de cinq tailles! La belle brune se met à genoux et le fait descendre lentement, très lentement; le sexe jaillit alors, corne de chair de belle taille au gland d'un rouge violacé, qui elle aussi ondule, comme dotée d'une vie propre. Le bulldog, le museau inondé de bave, relève alors sa compagne, et ils ne forment plus qu'une silhouette de chair ondulant sur le podium. Bientôt, il la soulève, l'arrache du sol et la fait retomber sur son pieu, et la besogne toujours en rythme, avec des mouvements lents et réguliers; elle a déjà les yeux mi-clos, et l'on voit le plaisir monter peu à peu sur son visage, on devine son souffle saccadé qui s'échappe de ses lèvres, d'abord entrouvertes, puis largement béantes alors qu'elle jouit enfin d'un long roucoulement de gorge haletant... Le couple s'effondre alors sur un sofa, et elle donne maintenant du plaisir à son partenaire en pompant son dard d'une main douce et fine, mais également vigoureuse. Une setter rousse opulente, dont je sent d'ici le parfum poivré et enivrant, rampe jusqu'au couple et arrive juste à temps pour recueillir l'explosion du bulldog dans sa bouche grande ouverte ....

Et ceci donne le signal de la sauterie générale: une grosse vache blonde aux seins archi siliconés, déjà à moitié à poil, m'agrippe et enfile dans ma bouche une langue active et agressive; mes deux mains partent à la rencontre de ses énormes loches, qu'elles malaxent à qui mieux mieux. Elle, pendant ce temps s'acharne sur mon futal et finit par sortir mon braquemard, dont elle remplit sa bouche illico. Mais ce n'était apparemment pour elle qu'une reconnaissance, et elle recommence à me déloquer avec acharnement. Moi de mon coté, je lui vire les deux trois morceaux de dentelle qu'elle a encore sur le corps, en essayant de ne pas trop attarder mon regard sur ses vergetures et sa cellulite; lorsque nous sommes tous les deux comme au jour de notre naissance, je la culbute sur la moquette et commence à lui pilonner frénétiquement la chaglatte ... C'est le moment que choisit un gros porc à moitié chauve pour nous vomir dessus, le genre de truc dont j'ai horreur par dessus tout. Je laisse la blondasse béante sur la moquette, et explose la mâchoire du gros d'une méchante droite ... Paaaf... Il s'affale sur le sol comme un sac de gélatine ...Quelques pétasses commencent à crier, et je vois s'approcher deux armoires à glace apparemment chargées de la sécurité ..Mais je n'ai pas trop le temps de leur demander leur carte professionnelle: je suis à poil et ils sont deux, assez balaises: heureusement que la décoration a prévu ici ou la quelques panoplies avec tout ce qu'il faut de tranchant, de contondant et de piquant. Je prend donc un choix quelque peu classique, et, évitant de peu un premier gorille, je me rue vers la panoplie, arrache une épée, et tranche net le bras d'un de ces messieurs ...Putain, ils les affûtaient bien, leurs lames, les anciens, me dis-je en perçant la bedaine du deuxième de mes agresseurs...

" Putain, c'est chouette comme plan, mec! "me crie un petit jeune hushki looké loubard qui se trouve à quelques mètres de moi; et saisissant une hache, il la plante joyeusement dans le dos d'un mecs qui me courait sus ... Dés lors, ca devient la baston générale: les copains du huski empoignent tous une arme et commencent à jouer les Conan le barbare avec les mecs de la sécurité, ceci au milieu des hurlements quasi hystériques des rombières et des giclements de sang ... Ca aurais pu être un massacre si l'un des mecs de la sécurité ne se remette soudain en tête la supériorité de la technologie, sorte son flingue et commence à défourailler à tour de bras... Ca devient alors la panique générale, d'autant plus que l'abruti arrose généreusement amis ou ennemis, mâles ou femelles, victimes ou délinquants: tout le monde coure dans tous les sens, la plupart allant vers la sortie, d'autres se jetant carrément par les fenêtres ...Moi, dans ce genre d'occasions, je préfère ne pas me singulariser: je choppe mes vêtements, coure vers la fenêtre, saute, me réceptionne dans un roulé-boullé qui me laisse quelques meurtrissures, et m'enfuie dans la nuit ....

Sortant du coin sombre où je me suis rhabillé, me sens quelque peu désemparé : ...et maintenant, quel est le programme? .... J'ai soudain l'impression d'être immergé dans un puits de silence obscur, comme si toute idée de vie, de mouvement et de bruit s'était retirée de ce monde ... Seuls restent au fond de la nuit les reflets des lampadaires sur les pavés gras aux angles arrondis .... Et soudain, entre deux petits blocs de granit, il y a une flamme, une toute petite flamme d'un rose si intense, qui grandit, grandit en un étrange chuintement qui évoque le crissement de la soie, d'un rose toujours plus vif et plus vibrant, qui illumine maintenant tout ce coin de rue; elle a maintenant une taille humaine, cette flamme qui s'effile lentement à sa base....qui se découpe d'une étrange manière, non, ce n'est plus une flamme, c'est un flamand rose, incandescent, aussi ardent qu'une sculpture de lave.... Le crissement est devenu envahissant, obsédant, mordant les oreilles comme un acide sonore, je me recroqueville, les mains sur les oreilles, transi, achevé.... Plus rien....Rien.... rien qu'un grand renard habillé de noir, qui me regarde avec insistance de ses yeux perçants...

Le renard a repris son chemin dans les rues baignées de lumière rouge; l'ambiance s'est faite encore plus grasse, plus sale, plus minable ... Les créatures qui étalent à grand peine leur chair flasque sur d'improbables résilles n'ont plus d'âge ni de couleurs, hormis celles bien écaillées des fards qui crépissent à grand peine leur peau moisies .. Le renard tourne soudain dans une impasse où une maigre ampoule lutte contre l'obscurité envahissante, et se dirige vivement vers l'entrée d'un ancien entrepôt: en dessous d'un projecteur mauve antédiluvien, un vaste panneau de bois hâtivement peinturluré promet en grandes lettres rouges " des plaisirs inouïs et pervaires !! " (orthographe d'origine !)..... Je rentre donc dans ce haut lieu du bon goût, et je suis tout de suite agressé par la fumée de cigarettes où traînent encore quelques molécules d'air ainsi que d'importants relents d'orifices corporels mal lavés. J'arrive à me traîner dans une salle grouillante d'humanité visqueuse, aux tarins rougeoyants et crevés de cratères, aux tignasse peroxydées, aux chairs flasques, aux joues blêmes et mal rasées, aux yeux chassieux d'où dégouline une lubricité malsaine, aux cheveux gras et clairsemés, dont les vestons sont couverts de pellicules, de taches d'aliments et de tous les fluides corporels imaginables.... Au loin, au fond de la salle, une blondasse éthique achève laborieusement un strip tease en ôtant une vague culotte plus que douteuse, dévoilant un fri-fri d'une tristesse insondable, dont les lèvres rougeâtres pendouillent comme deux tranches de foie de veau, et naturellement d'un noir de jais plutôt défraîchi. C'est alors qu'une grande foldingue harnachée d'un costume rose bonbon lance, sur un ton grandiloquent, et avec moults déhanchements et œillades soit disant provocantes: " ...Et maintenant mesdames et messieurs notre grande ATTRACTION ! !" ... et disparaît en laissant la scène vide sur la crudité d'un seul projecteur blanc.... Mais pas pour longtemps: précédée d'un meuglement sonore, et conduite par la blondasse-au-triste-frifi (qui entre temps a enfilé ce qui ressemble vaguement à une robe), entre sur scène une magnifique vache normande noire et blanche, bien grasse et aux mamelles gonflées, portant dans ses yeux cette lueur de crétinisme paisible que la gent bovine possède en commun avec les gendarmes et les gardiens de la paix. La blondasse amène ensuite un tabouret assez haut prés du cul de la ruminante, puis disparaît d'un pas traînant dans les coulisses...

C'est alors qu'un bruit de talons impérieux se fait entendre, et apparaît un nain bedonnant et barbu, chaussés d'immenses talons aiguilles imitation léopard et vêtu de bas résilles et porte jarretelles, ainsi que d'un slip également imitation léopard, muni d'un baudrier qui lui barre la poitrine; il fait quelque pas sur la scène en se pavanant et en faisant son intéressant, puis s'avance et défait le haut de son baudrier, enlève son slip .... Eh bien MONSIEUR est pourvu d'un membre gigantesque, long au minimum d'une trentaine de centimètres, large comme une bouteille d'un litre, membre qui, n'étant plus soutenu par le baudrier, traîne sur le sol lorsqu'il se déplace... Mais il ne reste pas flapi trop longtemps, vu que Triste-frifri, qui est revenue sur scène entre temps, se lance courageusement dans la besogne de faire gonfler ce prodigieux engin, tâche dont elle se sort d'ailleurs assez bien, vu que quelques minutes plus tard, le nain présente entre les cuisses une impressionnante colonne grosse comme un extincteur! Notre gaillard ainsi membré se dirige alors vers la vache, monte sur le tabouret et commence -bien évidement !!- à la bourriquer avec une énergie peu commune: son membre puissant va et vient comme le piston d'une machine hydraulique, rougeâtre et veineux, générant de violents bruits de succion, d'aspiration, de flatulence et de miction. Voici que j'entend également à ma gauche de vagues clapotis liquides et des profonds soupirs; je tourne la tête: ma voisine, une vaste truie qui dépasse aisément le quintal, est en train de se masturber sans retenue, à tel point que sa cyprine coule comme un ruisseau sur le sol....Pendant ce temps la vache elle aussi participe au concert par le long meuglements de jouissance, laissant un flots de bave blanchâtre s'écouler gentiment de sa gueule béante... C'est alors que le nain déconne son membre viril et tout en s'exclamant " ...Et par le petit trou maintenant !!! " encule illico la vache! L'animal ne se sent plus et pousse des meuglements qui déchirent les tympans!! Quand au nain, il ne tarde pas à rugir et à donner les grands coups de reins qui indiquent que la fin est proche....Il sort alors sa pine, l'agite en tout sens, et arrose toute la salle de sperme et de bouse ...Je ne peut éviter une large goutte verdâtre, qui vient s'écraser sur ma cravate en soie! Je n'ai pas le temps de pleurer sur mon malheur: ma voisine, ne pouvant plus se tenir, se précipite sur le nain, apparemment plus que désireuse de profiter du reliquat d'érection qui a si joyeusement comblé la ruminante: elle lui tombe littéralement dessus, le recouvre d'une épaisse couche de graisse qu'elle agite frénétiquement... C'est terrible !! On ne voit plus qu'une bosse informe et gélatineuse parcourue de longs frissons obscènes ... On entend des os craquer, des cris, des gémissements, des râles .... Puis le monstre se relève, tonneau de graisse informe recouvert de liquides divers plus gluants et rougeâtres les uns que les autre ...  " On dirait qu'il est mort!!! " éructe la chose avant de disparaître dans la foule ...Il ne reste en effet du pauvre nain qu'un petit tas de chair sanglante surmonté d'une étrange courge blanchâtre... C'en est trop ! ! Il faut que je sorte si je ne veux pas ajouter ma gerbe à la décadence générale : je me précipite dehors, passe la porte et...

...Je ne sais pas pourquoi.

...Je ne sais pas comment.

... Je suis allongé, la tête coincée entre une grosse pierre et la racine d'une plante quelconque... Autour de moi montent des murs bariolés de tags, zébrés de fissures, conchiés de larges traînées verdâtres ....

Pourquoi ? Comment ? Je me souviens juste de vastes couloirs de lumière, de masques grimaçants .... Je me souviens de la Tour Saint Jacques se découpant dans le ciel sombre et d'un corps oscillant devant ses gargouilles gothiques, des filles de feu aux yeux sombres tournant dans une ronde effrénée autour du lampadaire qui lui servait de gibet ...Je me souviens de la danse sauvage d'une fille d'Egypte, allumant le désir dans les yeux de mâles terrorisés par la faim, la maladie, la religion et la guerre ...Je me souviens du culte d'une déesse voilée aux fond de profondes futaies, de vierges sacrées dépucelées par un Dieu Cornu, la nuit du solstice d'été .... Et des couloirs encore, des cris et des chants, des feux et des flammes ....

Pourquoi ? Je rouvre les yeux et voici devant moi cette silhouette de Renard aux pattes minces et interminables. Il me tend une main froide comme la mort, et m'aide à me relever .

Nous sommes une ancienne voie ferrée, dont les rails s'étendent de part et d'autre dans l'obscurité. L'herbe pousse doucement sur le ballast, et de longues lianes vertes caressent sensuellement les briques, les crépis et les moellons; les murs sont bigarrés de tags délirants et de traînées de rouille qui zigzaguent entre les pierres, les câbles et les tuyaux, ce qui finit de donner à l'endroit un aspect peu ordinaire de jungle urbaine, à laquelle les bâtiments neufs édifiés alentours jettent des regards dédaigneux. Un groupe de pigeons picote avec acharnement le moignon d'une baguette de pain, tout en gardant un œil circonspect sur deux où trois greffiers, qui semblent plus en prise avec les affres de la libido qu'avec celles de la faim... Et à gauche, tout au bout des voies, s'ouvre le ciel sous un ruissellement de lumière électrique ....

___________________________

Et ils se mirent en route sur la voie désaffectée, le Renard menant le Sanglier vers son destin énigmatique; ils marchaient donc et le bruit de leur pas et le froissement du ballast qu'ils déplaçaient sur leur passage se répercutaient le long des parois de béton moisi; leurs haleines, réchauffées par leur course, s'échappaient de leurs bouches en petits nuages bleutés. Des ombres et des larves rampaient dans les recoins obscurs, craignant l'implacable regard de feu du Guide.

Bientôt ils virent se déployer devant leurs yeux le vaste panorama urbain des bords de Seine : par delà le large ruban du fleuve s'étalaient les voies de la Gare d'Austerlitz, striées des bandes luisantes et métalliques des rails ; puis plus haut , plus loin, les voies du périphérique semblaient deux énormes chenilles, l'une blanche, l'autre rouge, chacune douée d'une vie propre, chacune emmenant son flot d'âmes vers un ailleurs inconnu, tandis que se dressaient comme la carapace d'un gigantesque dinosaure les tours du quartier Italie, et tout cela dans l'ostinato sourd et ininterrompu du grondement du trafic. Un vaste Bouddha rose décoré d'une foultitude de guirlandes électriques trônait sur le plus haut immeuble, tandis qu'un Christ psychédélique étalait ses bras rédempteurs entre les cheminées d'une usine; plus haut, dans le ciel de cuivre, virevoltait une multitude d'anges multicolores dont les auréoles clignotaient dans le ciel d'ébène. Sur une gigantesque affiche Coca-cola d'un rouge sang agressif une Saint Vierge bleu pâle fit une apparition, et un parfum subtil et pénétrant se répandit dans l'air, et le slogan " Always " fut remplacé par la devise " Je suis l'Immaculée conception ", et les ondulations symbolisant le flot brunâtre et pétillant furent remplacées par de longs voiles bleus et blancs qui dansaient sur le souffle d'une brise séraphique, et l'on entendit dans l'air des chœurs de chérubins chanter des hymnes de louange....

C'est alors que du fond du ciel, battant ses ailes lourdes et membraneuses, arriva un immense dragon rouge chevauché par un démon vert-bouteille et cornu à souhait. Le dragon s'arrêta prés de la pub, le démon glissa de son dos, eut un sourire goguenard devant la niaiserie Saint-sulpicienne de l'apparition mariale et tira de sa poche une gigantesque bouteille de gnole, qu'il descendit cul sec. Puis il sortit un zippo, et, profitant d'une éructation aussi volumineuse que bruyante, cracha un bouquet de magnifiques flammes sur l'apparition de la Sainte Pucelle. Celle ci commença à fondre, et son jus bleuté mêlé au rouge de la boisson yankee produisit un filet d'un mauve soyeux et irisé absolument incomparable. Le démon sortit alors un sexe gigantesque, bifide et écailleux et commença à uriner dans le ruisselet qui courait à ses pieds. Les gros bouillons jaunes de sa pisse se mêlèrent alors au mauve en de longs tourbillons d'où s'échappaient des flots de comètes. Cependant l'apparition se consumait tranquillement dans un long gémissement de vieille fille forcée, tandis que les chœurs de chérubins s'étaient transformés en un long crissement acide, électrique, d'un volume sonore absolument insupportable ; le bleu velours du ciel fut remplacé par une lourde voûte d'un pourpre sanglant, et les démons envahirent la ville, raflant les âmes des hommes, des femmes et des enfants pour les entraîner vers le plus profond des enfers : des vols de succubes tournoyaient le long des avenues, et leurs ailes aux bords effilés tranchaient d'un coup net les têtes et les membres. Un œil rouge, énorme, chargé de colère et de haine était planté au sommet de la tour Eiffel et déversait dans les consciences encore saines d'énormes flots d'angoisse et de frustrations, d'envie de viols et de meurtres... Bientôt les rues ne furent plus peuplées que de zombies et de fous furieux armés de couteaux, de haches, de hachoirs, de scies, de hallebardes, tranchant allégrement les chairs vivantes ou mortes et se repaissant de barbacque crue, palpitante et sanglante. C'était une boucherie géante, un découpage monstrueux, une population hallucinée, qui, insensible à la douleur, découpait sa propre chair en menus morceaux dans un délire anthropophage ...

 

___________________________

Mon regard quitta l'inscription " APOCALYPSE - NOW ! !  " tracée sur un haut mur de brique, lui même surmonté d'une chape de béton, où étaient insérés des morceaux de verre qui brillaient sous la lumière électrique .... Un petit morceau d'un possible avenir était venu à moi par cette inscription ; normal, j'étais dans un temps et un espace où rien n'était ordinaire, à la surface duquel couraient les rêves les plus fous, ceux qui existent dans les parties les plus sombres de la conscience humaine ; en ce moment précis tout ce flot délirant coulait à quelques millimètres seulement de la réalité, toujours sur le point de briser la mince pellicule pour venir envahir de ses délires cette partie de l'espace temps, tout comme un flot d'humeurs organiques courant le long d'une membrane et l'irriguant de ses principes vitaux.

___________________________

Une clôture franchie et quelque rues parcourues, étrangement calmes le longs de sévères immeubles impeccablement alignés sans chimères ni volutes, de hauts murs ceints d'arbres au feuillage sombre: la prison. Les lampadaires ici sont autant d'yeux inquisiteurs qui scrutent l'âme du passant le plus honnête, tandis que d'autres yeux, mornes, énucléés, s'alignent sagement sur les façades brunes : ces yeux sont comme la conscience : ils regardent vers l'intérieur comme autant de pointes de douleur enfoncées dans la pierre. Tout au long des murs, on peut encore entendre les cris, muets ou assourdissants, de douleur, de rage ou de désespoir : ces cris sont l'essence de ces murs, ils les soutiennent de leur vibration, et les combattent aussi, car ces murs sont l'âme de la punition, un monument à la rancune de la société, rancune o combien tenace, dure et inflexible comme la pierre granuleuse dont ils sont bâtis. Et ces cris sont aussi la vie : sans eux, la Santé serait un gigantesque tombeau, dans lequel seraient enfouis les crimes du siècle ; mais il n'en est rien, le tombeau vit malgré tout, d'une vie insolente, de la vie d'une petite gouape aux yeux brillants, toujours prête à détrousser, dévaliser, vendre de la came, à prostituer ou se prostituer, étincelle inextinguible de vie et de rébellion, d'indépendance et de révolte, même si elle est présente sur la forme de hurlements ou de lugubres sanglots : les hommes, les flics, les condés, les préfets, les pères fouettards peuvent ensevelir les corps, ils ne feront jamais taire les consciences....

Le Flic, il est là maintenant, au centre de la place, sous la forme de gigantesque lion de bronze qui toise avec dédain le vulgum pecus qui se presse sur ses flancs : monument délirant tant qu'animalier à un militarisme imbécile et massacreur, à la chute d'une tyrannie ridicule et passéiste, elle même évocatrice de l'un des plus grands bouchers de l'histoire, pour lequel tant de chair humaine a été déchirée, éclatée, brisée, réduite en bouillie : et tous ces massacreurs illustres, ces buveurs de sang, ces faucheurs de milliers d'existences ont leurs rues, leurs place, et leur tombeau, leur plaques et leurs statues, eux qui n'ont eu qu'à prononcer quelques mots pour précipiter des populations entières dans la Grande Broyeuse : à ces assassins, plus grands que Lacenaire ou que les pires psychopathes, personne n'a reproché leurs macabres travaux, personne de leur vivant ne s'est levé et n'a osé crier: " Cet homme est un bourreau !". Massacrez peu et vous serez une ordure, massacrez beaucoup et vous serez un brave. Une pensée donc pour toutes ces populations auxquelles on a inculqué dés l'enfance la haine du voisin, du buveur de thé, du mangeur de cuisses de grenouille ou du bouffeur de choucroute, pour tous ces soldats, en rouge garance ou caca d'oie, en kaki ou en feldgrau, en bleu ou en gris, qui sont partis plein de joie sous le soleil du printemps vers la capitale de l'Ennemi Héréditaire et sont morts dans la merde, le froid et la boue pour les industriels de leurs pays, pour que les maîtres des forges, les barons du textile, les petits marquis des grands magasins voient encore plus de zéros à leurs chiffres d'affaires : combien donc de défunts pour ces vampires du capital ? ? ?

Un autre mur, moins haut, d'autres statues, moins imposantes: le cimetière, terminus ultime où, sous le marbre comme sous la terre, assassins et victimes, généraux et soldats, prolétaires et empereurs se retrouvent tous à l'état égal de charognes rongées par les vers, veillées par de gigantesques statues drapées de bronze portant des torches aux flammes figées dans le métal, ou bien d'humbles croix de bois où s'accrochent désespérément quelques perles, quelques fleurs en plastique. Quatre fantômes - deux hommes et deux femmes - erraient parmi les tombes en marmonnant leur Credo. Dans leurs oreilles résonnaient les coups d'un gigantesque marteau à vapeur, qui enfonçait des pieux dans les rives boueuses d'un fleuve lointain. Et les fantômes se mirent à danser au rythme de ce martèlement, en emmenant dans leur ballet une horde de chats en extase : leurs cheveux longs et leur voiles diaphanes glissaient parmi les buis, la pâleur de leur regards filait le long des dalles de marbres et des myriades de poussières ectoplasmiques allaient poudrer le nez des sombres vierges porteuses de flambeaux. ...

Et le quatuor vire et volte, provoquant la Lune et les étoiles, se découpant sur la masse sombre de la Tour Montparnasse, sa joie macabre et gothique contrastant durement avec la triste modernité dépouillée du verre et de l'acier. Et tous les quatre entament une ronde, d'abord lente, glissée, presque végétale, puis de plus en plus rapide et rythmée, sautillante puis convulsive, les partenaires tournent, tournent, tournent, ne sont plus qu'un lumineux cylindre aux couleurs changeantes, du bleu pâle en passant par toute la gamme des verts, jusqu'au pourpre le plus cardinalice... Et soudain tout s'effondre, n'est plus que fumée qui se dissipe lentement au fil de la brise .... Sur la tombe la plus proche, une forme sombre est couchée, étendue le long du marbre luisant ; la forme se redresse : il s'agit d'une grande femme brune et pâle, très belle, aux yeux de jais ardents comme deux soleils de nuit, tout dans son attitude exprime la noblesse, la grandeur, la sublimation, ainsi qu'une certaine joie à la fois obscure et immaculée .... Le noir ... Le noir pur .... Ses yeux me cherchent, me trouvent, me transpercent, la chaleur de son regard rayonne à travers tout mon être ; il se crée entre nous un courant intense d'amour et de volupté, comme si l'espace d'un instant, la conscience de l'autre habitait le corps de chacun ... Puis, lentement le lien s'atténue, n'est plus qu'un imperceptible fil d'énergie qui mincit, mincit ...N'est plus rien... Seuls demeurent ses yeux, ses deux yeux d'une profondeur abyssale, deux profonds lacs de ténèbres, qui flottent dans l'air comme le sourire du Chat de Chester, et qui à leur tour disparaissent, tandis qu'une voix murmure à mon oreille " Bientôt !"

La Tour de la gare se dresse comme un pilier du ciel. Elle est la bergère d'une foule de rêves bleus et verts, rêves de ciels limpides comme des miroirs ou nacrés comme l'intérieur d'une huître, rêves de toit d'ardoise et de murs blancs, rêves de genêts et d'ajoncs, de golfes tranquilles entre les pins ou de mers écumantes se brisant en hurlant sur les récifs, rêves de chemins creux où le vent joue de la harpe, de landes où courent les korrigans .C'est aussi un lien entre la Terre et le Ciel, une échelle de Jacob technologique.

Une rue - plus qu'une rue à suivre pour arriver à mon destin, une rue droite, filant vers le sud, pâle sous la clarté bleu ciel du jour levant, piquetée ca et la de quelques fenêtres éclairées sur les façades.

Le Renard fait quelques pas - se retourne - me regarde dans les yeux ...

Noir, noir, noir...Il fait noir dans ma conscience ....Seuls glissent lentement quelques reflets lointains, images de caves ou de catacombes oubliées ...De la lumière enfin : mon espace intérieur est en fait un gigantesque écran où viennent se projeter des images venues d'ailleurs... Pour l'instant, je vois une pièce éclairée de bougies plantées sur de luxueux flambeaux d'argent ; la décoration est d'un goût exquis, dans un style classique avec papier peint fleuri et lourdes tentures de velours cramoisi ; le mobilier se compose de sofas que je devine profonds et moelleux... Entrent alors cinq personnages, deux femmes et trois hommes; ils sont tous masqués de loups de velours noir ; ceux des femmes sont incrustés de minuscules diamants dont le dessin souligne harmonieusement les courbes des paupières et des orbites. Les hommes sont habillés de larges pyjamas de soie à culottes bouffantes, tandis que les femmes sont en bas et corsets à rubans de couleurs, chaussées de petites mules à hauts talons...Des groupes se forment sur les sofa, des caresses s'ébauchent, les mains et les lèvres parcourent les corps, la chair est dénudée, les caresses se font plus précises, plus intimes. Les sexes sont dévoilés et sont honorés, baisés, titillés, excités, l'orgie est maintenant dans sa plénitude, les corps s'entremêlent, se chevauchent, se pénètrent, des ruisselets de fluides corporels vont souiller les soies et les velours, on entend des râles, des soupirs, des gémissements...Puis la tension retombe...Les muscles se détendent, les positions acrobatiques se décomposent, les corps s'affaissent ...L'une des femmes encore voilée, se relève et s'approche de moi ...Elle est tout prés de mon regard maintenant : je peut voir qu'elle a de jolis petits tétons roses, comme des pétales de fleur.. La belle commence à se recoiffer, et enlève son masque ... QUEL CHOC ! C'est elle, Elsa, la femme que j'aime tant, pour laquelle j'ai tant de respect, tant d'affection, elle, la mère de mes enfants, qui se comporte comme la dernière des catins ! Je sent partir des tréfonds de mes tripes un hurlement sauvage, un cri de douleur brute ! !

Noir, noir, noir, noir....Il n'y a plus rien...Plus rien que la douleur qui me brûle ...Là, au creux de la poitrine ! ...

Le Renard détourne son regard et commence à marcher, d'un pas vif et résolu, en direction du Sud

 

 

Deux vaches violette se tiennent au bord des voies, gardiennes d'éternité. Je continue à marcher et c'est alors que le Renard disparaît. Quelques pas en plus, hésitants, lents, découpant le temps en épaisses lamelles...En face de moi, un tunnel étroit s 'enfonce sous les voies. La paroi s'ouvre sur un long couloir couvert de graffiti organiques. J'avance dans la lumière pâle des néons au centre de ce boyau calibré. Autour de moi frissonnent des particules de vies bercées par les grondements des trains, ces grondements puissants, omniprésents, qui incubent dans cet endroit une vie crépusculaire: les larves blanchâtres des sacs plastique dérivent lentement sous l'effet d'un imperceptible courant d'air, de part et d'autre les murs se gonflent petit à petit, ruisselant d'un liquide d'où émane une âcre odeur de haine et de menace, et qui peu à peu remplace la forte ammoniaquerie de l'urine décomposée. Je presse le pas et le béton résonne agressivement sous mes talons et au grondement des trains, au bruit de mes pas se mêlent maintenant de longs murmures de haine; des filaments vermillons émergent des boursouflures des parois, s'agitant comme d'immenses algues sanglantes.

Les colonnes de clarté sont sculptées par le théâtre de la cruauté.

Ils ont les yeux hagards, la bouche ouverte sur des dents parcourues d'une bave blanche. Ils hurlent - Et leur griffes et leurs crocs déchirent la chair de l'autre

peau adorée et maintenant détestée

Et partent les mots dans le bruit qui s'enflamme - Mots barbelés, acérés, aiguisés, accompagnés de la pénétration perverse des épithètes

Et voici que s'écroulent les palais, les grèves et les collines; les plages de sable fin se dissolvent dans les souvenirs

Descente dans les mines urbaines, les sombres recoins souterrains où grouillent des créatures sous-humaines - De pâles tuyaux organes pendouillent le long des galeries - sous les sombres arcades sourcilières flambent la haine et la lubricité - sur le sol pourrissent d'infâmes liquides, des charognes de junkies à moitié rongées par les rats

C'est à ce moment que le Sanglier entra dans le Vortex. La lourde porte se ferma derrière lui dans un bruit de tonnerre; il était dans un endroit sombre, éclairé en partie par des projecteurs d'un blanc impitoyable ; du plafond noyé d'obscurité morne pendaient de longues chaînes rouillées; une musique d'apocalypse aux percussions furieuses et aux longues basses angoissantes noyait l'atmosphère de son flot monstrueux. Trois Gardiens masqués, gantés jusqu'au coude et les cuisses moulées dans des chaps de latex, s'emparèrent du Sanglier et le dévêtirent entièrement : il n'était plus l'inspecteur Parcimoni, honnête fonctionnaire du ministère de l'intérieur, mais la Victime consacrée d'une nuit de folie au cœur de l'Enfer urbain. L'un des gardiens sortit alors une paire de menottes et l'attacha à l'une des longues chaînes qui pendaient du plafond. Il allèrent ensuite chercher un rasoir, de l'eau et du savon et rasèrent minutieusement poils, cheveux et sourcils de la victime; petit à petit l'ensemble de l'assistance avait pris place autour de ce corps qui était épilé, puis lavé, purifié et parfumé. Puis tous, Gardien, Prêtres, Sacrificateurs, se reculèrent et contemplèrent ce corps masculin dressé entre ciel et terre, cette flèche de chair imberbe qui prenait son essor vers l'absolu, cette posture élancée mise en valeur par l'angle des bras, les reliefs des muscles tendus par les courroies...

Puis l'un des Prêtres, vêtu d'une longue robe noire transparente sous laquelle on voyait danser un sexe démesuré, s'approcha d'une longue table posé contre le mur et pris un knout, fouet à dix lanières munies de crochets de métal, et commença à en fustiger le corps de la victime ; lorsque le sang commença à gicler, il appela un des aides qui se mit entièrement nu et continua le travail jusqu'à ce que le corps soit entièrement recouvert d'une fine pellicule rouge. Puis chacun des participant dénuda son sexe et vint sodomiser la victime, violemment, sans ménagement, griffant de leurs ongles taillée en pointe les zones de la peau qui n'avaient pas été touchées par le fouet.... Les cris du corps torturé déchiraient l'air, portant l'excitation des participants à son comble, donnant encore plus de force à leurs coups de reins, à leurs griffures, à leurs morsures ...

Puis s'avança le Gynophage, sa longue tête pâle de cheval fou ondulant dans l'obscurité, se découpant sur le noir épais des cuirs et des latex, il tendit sa longue main aux ongles démesurés et arracha une livre de chair à la cuisse de la victime. Il avança ensuite la bouche et baisa longuement et passionnément ses lèvres.

Elle ne fut plus alors qu'un morceau de chair souffrante où palpitait une étincelle de vie. Il y eut alors le bruit d'un pistolet que l'on arme...

 

 

 

 

... et une plume rose pressa la détente...

 

 

 

 

 

 

 

 

Paris le 28 Mai 2001